Dans cette période de crise sanitaire où l’ensemble de la société et donc le sport est à l’arret, de nombreuses questions se posent.
Les membres du Laboratoire de Droit du Sport (LDS) de Dijon et de l’Association Lex Sportiva vont tenter de répondre à certaines de ces questions.
Troisième épisode avec Matthieu Llorca, Maitre de conférences en Economie, Laboratoire d’Economie de Dijon (LEDi), Université de Bourgogne,
« Les clubs de sport professionnels connaissent une situation économique difficile, du fait de la crise sanitaire du coronavirus ; impliquant l’arrêt des compétitions sportives depuis le mois de mars.
Nous examinons le cas du football professionnel, dont le modèle économique se retrouve fragilisé par cette crise.
Dans le cas français (Llorca, 2018[2]), il repose notamment, côté recettes, sur :
– (i) les droits TV (qui représente 36 % en moyenne des recettes des clubs de Ligue 1[3]),
– (ii) les transferts de joueurs (25 % en moyenne des recettes des clubs de Ligue 1),
– (iii) les sponsors publicité (16 %),
– (iv) les autres produits (15 %)
– (v) et les recettes matchs (8 %).
Or, tous ces postes de recettes se retrouvent directement affectées par la crise sanitaire du coronavirus.
Du côté des droits TV, ces derniers sont menacés de chuter. Par exemple, le diffuseur historique du football français, Canal +, fragilisé par la crise dans ses activités de télévision payante, refuse de verser le 5 avril l’échéancier des droits (d’un montant de 110 millions d’euros, soit 15 % du montant annuel total) en raison de l’arrêt de la Ligue 1. Il évoque un cas de force majeure prévu dans le contrat[4]. BeIn Sports pourrait faire de même concernant le versement de 42 millions d’euros au mois d’avril.
L’incertitude est d’autant plus grande que Canal + et beIN Sports devaient effectuer un autre versement d’un montant total de 140 millions d’euros le 5 juin et pourraient chercher à renégocier à la baisse cette dernière échéance selon le nouveau calendrier de fin de cette saison.
Sans compter que la Ligue pourrait ne pas recevoir dans les délais convenus initialement les premiers versements de Mediapro pour la période 2020-24 qu’il avait acquis pour 780 millions d’euros par an[5]
En outre, les négociations de transfert sont en pause ; le mercato pourrait reculer (sans compter l’impact du Brexit et la chute de la valeur des joueurs[6] en cas de report de la saison actuelle), ce qui poserait de nouveaux problèmes de trésorerie pour certains clubs qui n’hésitaient pas à équilibrer leur comptes (avant le passage à la DNCG) en vendant des joueurs au mois de juin. Or, la vente de joueurs représente 25 % des recettes des clubs de Ligue 1 et ont atteint 635 millions d’euros de plus-values en 2019.
Par ailleurs, certains sponsors, fragilisés par la crise économique actuelle consécutive, pourraient décider de ne pas renouveler leurs partenariats. On peut ainsi s’interroger sur le futur contrat de naming du stade de l’Olympique Lyonnais avec la compagnie aérienne Emirates, dont le secteur est durement touché par la crise présente.
Enfin, les recettes billetterie et matchday (billets, buvette, boutique)[7] sont à l’arrêt du fait des huit clos, puis des reports des compétitions sportives de football. La perte serait ainsi de 30 % (environ 31,5 millions d’euros) pour le cas du PSG par rapport aux 105 millions d’euros qu’il a enregistré l’année passée ; sans compter la chute des activités annexes[8] .
Or, en cette période d’urgence économique, la survie financière de certains clubs professionnels est en jeu afin d’éviter la faillite, comme celui vient de se produire avec le club slovaque Zilina, sept fois champion de Slovaquie (dont la dernière fois en 2017) suite à l’échec des négociations des joueurs à baisser temporairement leur salaire durant cette crise (L’Equipe, 30 mars 2020[9]).
Trois solutions peuvent être proposées pour faire face à cette situation exceptionnelle de crise :
1) la réduction des salaires des joueurs, comme cela s’est mise en place entre autres, à la Juventus, au Borussia Dortmund et au FC Barcelone (70 % demandé par le club auquel s’est ajouté 2 % de la part des joueurs), afin de garantir le versement des salaires à tout le personnel non sportif, au chômage partiel ;
2) une aide de l’Etat, voire des fédérations et des ligues, à travers le report des cotisations sociales, des impôts, le rééchelonnement des crédits bancaires via la garantie apportée par la Banque Publique d’Investissement (BPI) ;
3) un emprunt collectif avec en garantie les droits TV actuels (Canal +/BeIn Sports) et/ou à venir (Mediapro/Canal +) contre un prêt d’un montant de 200-250 millions d’euros ».
[2] Llorca, M. (2018), « L’économie du football français », Revue de droit fiscal, n° 36, 6 septembre 2018.
[3] Chiffres provenant des comptes de la Direction Nationale de Contrôle de Gestion (DNCG) sur la saison 2018/19.
[4] Il est intéressant de noter que ce n’est pas la première fois que Canal + agit de la sorte puisqu’il avait déjà assigné la Ligue devant le tribunal de commerce pour demander des dédommagements (à hauteur de 46 millions d’euros) suite au report de matches lors de la saison 2018/19 provoqués par le mouvement des gilets jaunes.
[5] Le versement doit s’effectuer tous les deux mois dès le 5 août 2020 d’un montant de 133,3 millions d’euros, soit 17 % du total annuel à chaque fois.
[6] Cf. l’étude du CIES (2018), « Pandémie : 28 % de perte sur les valeurs de transfert de joueurs », La Lettre hebdomandaire, n° 289, 30 mars 2020.
[7] Chaque match à domicile rapporte environ 5 à 6 millions d’euros, voire plus en cas d’affiche.
[8] Séminaires, évènements, visites du stade.
[9] L’Equipe (2020), « Slovaquie : Zilina en liquidation après les pertes liées au coronavirus », L’Equipe, 30 mars 2020.